La folle entreprise de Pierre N*** -Chapitre 9-
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-Chapitre 9-
Lorsqu’il eut passé en revue tout les candidats restants, Pierre N*** dut se rendre à l’évidence : aucun ni aucune ne convenait. Il y avait bien eu cette ravissante jeune femme blonde qui parlait de la morale comme de l’amour de sa vie. Mais le comptable se méfiait de la beauté lorsqu’elle était si parfaite. Il doutait qu’une femme si désirable eut pu se préserver comme elle le prétendait. Elle évoquait la joie indicible d’être vertueuse, le contentement d’être probe et la beauté de la décence. Bien qu’il ne fût pas poète, Pierre N*** crut à une allégorie descendue des cieux, la Vertu guidant Pierre N*** dans son entreprise fabuleuse. Il demeura muet, tout à son ravissement. La jeune femme poursuivit sa tirade majestueuse, elle fustigea l’inconstance de la jeunesse, et l’alcool qui corrompt. Ces dernières paroles tirèrent le comptable de sa contemplation béate. Il toisa alternativement son verre de whisky vide et la jeune femme blonde lancée dans sa diatribe effrénée. Pas d’alcool ? Pas d’alcool dans le havre de la vertu ? Pensait-elle qu’on entrait dans un couvent ? Car assurément, c’était là sa place à cette jeune anachorète, la vertu n’est pas l’ascèse. Il leva des yeux réprobateurs sur la jeune femme blonde qui s’était tue. Le trouble du comptable ne lui avait pas échappé. Pierre N*** se leva, déclara qu’elle devait sans nul doute se faire nonne et la congédia avec une relative courtoisie, car à la blondeur de sa chevelure il préférait celle du malt.
Aucun autre ne retint l’attention du comptable. Un jardinier, deux ou trois cuisiniers et quelques bonnes de maison avaient proposé leurs services mais dès qu’on leur parla morale ils ne donnèrent aucune satisfaction à Pierre N***, passablement agacé et progressivement déconfit.
Le comptable demeura toute la nuit à tourner et retourner son projet gigantesque et à déplorer la maigreur de ses effectifs. Il n’avait recruté que trois être moraux. Celui qui n’aimait pas la jeunesse, le poète-philosophe (cela revenait à peu près au même pour Pierre N*** qui ne faisait pas grande distinction dans les arts) et celle qui n’aimait pas la foule. Il songea qu’abaisser ses critères de sélection lui promettaient assurément la débâcle et l’opprobre. L’intrusion d’individus semi-moraux dans son havre de probité devait sans nul doute le conduire à sa perte, dans le feu, le sang et la honte. Pierre N*** s’endormit au point du jour, en proie aux tourments d’un projet qui vacille.
-Fin du chapitre 9-