La folle entreprise de Pierre N*** -Chapitre 1-
-Chapitre 1-
Chaque soir ou presque, après son travail de comptable, Pierre N*** se rendait au bar de l’auberge de la colline pour boire et discourir. Ainsi, il buvait ses verres et Rose, l’unique serveuse de l’auberge de la colline, buvait ses paroles. A mesure qu’il levait le coude, les propos de Pierre N*** gagnaient en emphase et en superbe : on eut dit que son bras était un levier qui libérait une logorrhée toujours plus réprobatrice. Dans un état d’ébriété avancée, il fustigeait l’immoralité et le manque de tenue des hommes : « C’est que la société se délite, disait-il invariablement vers minuit en adoptant des postures de grand orateur, la jeunesse se vautre dans la luxure obscure et abêtissante, tel goret dans fange ! Mais c’est qu’on s’y plaît tout en bas, loin bien loin –trop loin- de toute dignité d’homme, allez, allez donc suiveurs de Sardanapale et de vos aînés obscènes, précipiter l’humanité parmi la décadence la plus sordide ! » Ainsi parlait Pierre N*** lorsqu’il avait vidé ses verres. Et la serveuse, qui était bien ingénue, était éprise de ce jeune trentenaire qui, quand il était gris, discourait comme un poète maudit enchanté par la fée absinthe ou quelque chose comme ça.
Or un jour, Pierre N*** ouvrit le journal pour y trouver les résultats de la loterie, comme il le faisait chaque mercredi parce qu’il jouait chaque mardi soir. Et cette fois, il avait tous les numéros. : « Je, je… j’ai gagné… j’ai gagné le gros lot » balbutia-t-il sans aucune originalité. Alors ce fut le début d’une grande entreprise pour Pierre N***, qui sut tout de suite comment utiliser la somme prodigieuse.
Le besoin irrépressible d’en faire part à son éminence grise l’étreignit. Il monta dans sa voiture, roula jusqu’en haut de la butte, sortit du véhicule et entra en trombe dans le bar de l’auberge de la colline : « Rose, Rose, hurla-t-il comme un damné, je m’en vais créer un nouvel Eden, une société vide de toute immoralité !
-Monsieur m’aurait-il été infidèle en allant boire ailleurs ? s’enquit la jeune fille, vexée.
-Une société créée par Pierre N***, formée d’êtres raffinés, courtois et distingués », reprit-il, ivre de joie, puis il sortit comme il était entré, l’œil fou et la démarche fulgurante.
-Fin du chapitre 1-
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